Nom du site : Saint-Dizier, « Les Crassées », secteur de l’établissement rural antique
Dates de fouilles : du 11 juin au 06 juillet 2012
Responsable : Raphaël Durost (chargé d’opération et de recherche INRAP – UMR 6298 ARTeHIS)
Collaborateurs : Anne Delor-Ahü (chargée d’opération et de recherche INRAP – UMR 7041 ArScAn), Stéphanie Desbrosse-Degobertière (chargée d’opération et de recherche INRAP – UMR 6273 CRAHAM), Gilles Fronteau (Maître de conférences, Université de Reims Champagne-Ardenne – EA 3795 GEGENA²).
Les objectifs de la fouille
Les diagnostics et fouilles menés dans les années 1990-2000 aux « Crassées » mêmes et sur près de 30 hectares de haute terrasse de la Marne, permettent de raisonner sur une échelle qui dépasse celle du « site archéologique ».
En 2002, la découverte des trois tombes aristocratiques du VIe s. de notre ère à 250 m de salles balnéaires antiques fouillées dans les années 1960 soulève de nouvelles questions historiques (TRUC 2008, TRUC 2009, TRUC 2010, TRUC 2012, PARESYS, TRUC 2009). Le voisinage de la uilla gallo-romaine à qui appartient les bains a-t-il un sens ? Les aristocrates du VIe siècle n’en sont-ils pas d’une manière ou d’une autre les héritiers économiques et/ou fonciers ? Depuis les publications des salles balnéaires par Louis Lepage, l’établissement est réputé pour le corpus céramique de l’Antiquité tardive qu’il fournit, et qui prouve l’occupation soutenue du bâtiment résidentiel au moins jusqu’à la moitié du IVe siècle (LEPAGE 1970 et 1992). En revanche les niveaux d’abandon que Louis Lepage fouille ne contiennent aucun indice qui puisse être contemporain de la chefferie mérovingienne, et il faut attendre le Xe siècle pour voir réapparaître deux cabanes semi-excavées et un four construits en bordure extérieure du bâtiment gallo-romain. Leur présence implique celle d’un habitat contemporain à cet endroit, dont l’agencement est manifestement conditionné par un parcellaire hérité de l’Antiquité. Ces éléments font échos à l’organisation de l’habitat médiéval fouillé par l’Afan au sommet de la pente dans les années 1990, qui elle aussi tient compte de quelques murs antiques.
L’évolution qui mène l’établissement de l’Antiquité tardive jusqu’à son abandon ou à sa transformation est donc une des principales problématiques de cette nouvelle mission. L’attention se porte autant sur les maçonneries de l’Antiquité que sur d’éventuels aménagements postérieurs. Si le bâtiment résidentiel des « Crassées » tombe probablement bien en ruine durant l’Antiquité tardive, et si un habitat groupé et son cimetière sont bel et bien créés ex nihilo au Haut Moyen âge, la multiplication des observations archéologiques réalisées dans ce secteur suggère une relation historique entre les deux occupations. La mise en évidence de la proximité géographique d’une élite gallo-romaine et mérovingienne à Saint-Dizier est ainsi une occasion exceptionnelle d’étudier les transformations qui mènent de l’une à l’autre, et de s’affranchir d’une frontière historique trop arbitraire.
Afin d’enrichir les informations sur l’occupation médiévale, une fouille est menée de manière conjointe par Stéphanie Desbrosse-Degobertière sur la nécropole qui se développe au Haut Moyen à moins de 100 m du bâtiment résidentiel antique. Elle a lieu depuis l’été 2011.
Résultats de la campagne de 2012
L’objectif de cette campagne était d’apporter des précisions sur la forme, la datation et la nature du secteur fouillé à trois reprises au XIXe et XXe siècles. Elle permet d’identifier avec certitude ces salles comme celles de bains privés relativement classiques pour un établissement rural de Gaule Belgique. Ils sont construits à une extrémité du bâtiment résidentiel, dont le reste n’est pas encore connu.
Ce secteur n’est pas construit avant la fin du IIe siècle, ce qui demeure tardif par rapport aux exemples connus par ailleurs. Il est fort possible que des bains antérieurs existent à proximité, ou tout du moins un autre bâtiment résidentiel, car le mobilier répandu autour de l’édifice montre une occupation soutenue au moins dès le début du Ier siècle de notre ère. Toute la construction du bâtiment est conditionnée par l’approvisionnement en eau courante du frigidarium. Ses murs sont donc construits en premier, afin de les accoler au plus près de la pente d’où sourde une source, et aussi pour canaliser l’eau dans un profond caniveau afin de ne pas inonder le reste du chantier.
A une date que l’on situe actuellement au plus tôt dans le dernier quart du IIIe siècle, les bains sont transformés. Le secteur chauffé est diminué de moitié côté ouest mais en partie agrandi côté est, pour une raison inconnue. Il oblige les bâtisseurs à reconstruire un canal de chauffe au praefornium. Pour une raison tout autant inconnue, les salles servant de sas thermique entre le caldarium et le bassin du frigidarium occupent davantage de place. Le frigidarium semble même séparé du reste des bains par les vestiaires qui sont étendus jusqu’à lui.
Quant à la vidange d’origine du bassin froid, elle devient hors d’usage à une date inconnue, peut-être différente de celle des travaux précédents. Elle n’est pas réparée mais remplacée par un caniveau extérieur au bâtiment et aérien.
Les bains doivent rester en fonction au moins dans la première moitié du IVe siècle, à l’image du mobilier trouvé dans les cendres du preafornium. Le tesson décoré par une molette du début du Ve siècle découvert cette année dans les déblais de Louis Lepage montre qu’une fréquentation se poursuit au moins jusqu’à cette date, sous une forme inconnue qu’il paraît crucial de déterminer dans les années à venir.
Bibliographie
- LEPAGE L., 1970, « Fouille d’un habitat gallo-romain à Saint-Dizier « Les Crassées » », Mémoires de la Société des Lettres, des Sciences, des Arts, de l’Agriculture et de l’Industrie de Saint-Dizier, 2, Saint-Dizier, réédité en 1992.
- TRUC M.-C., 2008, avec la collaboration de Parésys (C.), « Trois tombes d’exception à Saint-Dizier », in Varéon C. (dir.), Nos ancêtres les Barbares, voyage autour de trois tombes de chefs francs, catalogue de l’exposition de Saint-Dizier, Paris, p. 50-69.
- TRUC M.-C. 2009, avec la collaboration de Bell (B.), Cabart (H.), Calligaro (T.), Fischer (S.), Parésys (C.) et Tegel (W.), « Trois riches tombes du VIe siècle sur le site de « La Tuilerie » à Saint-Dizier (Haute-Marne) », in Guillaume J., Peytremann E. (dir), L’Austrasie, Sociétés, économies, territoires, christianisation, Actes des 26e Journées internationales d’archéologie mérovingienne, Nancy, septembre 2005, Mémoires de l’Association française d’archéologie mérovingienne, t. 19, Presses Universitaires de Nancy, Nancy, p. 313-331.
- TRUC M.-C. 2010, avec la collaboration de Paresys (C.), « Des chefs francs à Saint-Dizier ? Découverte de trois tombes exceptionnelles en 2002 », Mémoires de la Société des Lettres, des Sciences, des Arts, de l’Agriculture et de l’Industrie de Saint-Dizier, 2ème série, t. 9, Saint-Dizier, p. 18-57.
- TRUC M.-C. 2012, « Probable Frankish burials of the sixth century AD at Saint-Dizier (Haute-Marne, Champagne-Ardenne, France) », in The very beginning of Europe ? Cultural and Social Dimensions of Early-Medieval Migration and Colonisation (5th-8th century), Actes du colloque de Bruxelles, mai 2011, Relicta Monografieën, 7, Bruxelles, p. 51-66.
- PARESYS C., TRUC M.-C., 2009, « Trois riches tombes de chefs du VIe siècle à Saint-Dizier », in Alduc-Le Bagousse A. (dir.), Inhumations de prestige ou prestige de l’inhumation ? Expressions du pouvoir dans l’au-delà (IVe-XVe siècle), Actes de la quatrième table ronde du CRAHM, Caen, 2007, Publications du CRAHM, Caen, p. 69-99.