Un habitat du Néolithique récent (3600-2900 avant J-C. ) a été mis au jour dans la région des Marais de Saint-Gond, à Val-des-Marais (Morains-le-Petit) « Le Pré à Vaches » (Marne, France). Cette découverte majeure, attendue depuis 150 ans, a été réalisée au cours de l’été 2023 grâce à une évaluation archéologique réalisée dans le cadre du programme de recherche sur le Néolithique de la région des Marais de Saint-Gond. Ce projet est coordonné par Rémi Martineau (CNRS), en partenariat avec l’INRAP, et subventionné par la DRAC Grand Est, la Communauté de communes Paysages de Champagne et la Mairie de Val-des-Marais.
Le site se trouve dans la plaine de Champagne, dans la partie orientale des marais de Saint-Gond, en amont de la vallée du Petit Morin. Ce secteur, parfois appelé “sources” du Petit Morin, correspond en réalité à un fort battement de la nappe phréatique qui vient parfois inonder cette zone canalisée anciennement (fig. 1).
La détection du site a été réalisée à partir de tranchées et de sondages correspondant à une superficie de 3800 m2. Il comprend au moins une enceinte palissadée et peut-être une deuxième enceinte accolée. A proximité ont été mis au jour deux grandes fosses dépotoirs, un puits et un bâtiment datés du Néolithique récent (fig. 2).
Les empreintes des poteaux refendus en deux sont remarquablement bien conservées dans les parties crayeuses (fig. 3). Un puits d’environ 2 m de diamètre, bien daté du Néolithique récent par la céramique, permettait d’accéder à la nappe phréatique. Deux grandes fosses d’une vingtaine de mètres de diamètre ont livré de la céramique, de l’industrie lithique et de la parure caractéristiques du Néolithique récent. L’une d’elles a sans nul doute été fouillée par André Brisson dans les années 1920.
Entre l’enceinte et une de ces grandes fosses a été mise au jour une portion d’un bâtiment à deux nefs de 3 m de large qui se termine en abside. Sa datation au Néolithique récent est assurée par le fait que la couche supérieure de comblement de la grande fosse adjacente, bien datée du Néolithique récent par la céramique et la parure, vient recouvrir les trous de poteaux de ce bâtiment, ce qui explique que ceux-ci ne soient pas visibles à la surface de cette fosse (fig. 4). Ces différentes structures semblent constituer un ensemble organisé que seule une fouille extensive permettra de documenter en détail.
Dans cette partie nord des sondages, trois fosses en Y ont également été mises au jour. L’absence de mobilier ne permet pas pour le moment de les dater. Dans ces sondages des fosses et des trous de poteaux protohistoriques et, dans une moindre mesure, antiques, ont également été mis au jour.
Dans la partie sud de la parcelle évaluée, une large dépression naturelle d’une vingtaine de mètres de diamètre a été sondée à la pelle mécanique. Cette dépression a servi de point d’eau au Néolithique (datation céramique, fig. 5) comme l’attestent les nombreuses empreintes de pattes de bovidés qui ont été observées sur sa périphérie. Il n’est pas encore déterminé si ce point d’eau situé dans une dépression au départ naturelle a fait l’objet d’un creusement sous forme d’un puits dès cette époque. En revanche un puits a clairement été creusé dans cette dépression à la fin du Hallstatt, comme l’atteste la céramique trouvée à 5 m de profondeur. Le fond n’a pas été atteint pour des raisons techniques. Dans ce secteur, deux silos, deux fosses et plusieurs trous de poteaux sont également datés de l’âge du Fer.
Cette évaluation archéologique a permis de détecter au moins une enceinte palissadée, au moins un puits, au moins deux grandes “fosses” dépotoirs et un bâtiment en abside datés du Néolithique récent par la céramique. Les structures mises au jour concernent une aire d’environ 5000 m2, mais le site pourrait s’étendre sur plusieurs hectares. Il s’agit d’un site majeur, d’une grande importance pour la connaissance du Néolithique de la moitié nord de la France. Cette découverte constitue une étape importante de ce projet de recherche et ouvre de nombreuses perspectives pour la connaissance du Néolithique.
Dans la région des Marais de Saint-Gond, la découverte d’habitats néolithiques est attendue depuis 1872. Le baron Joseph de Baye qui avait découvert de grandes quantités de silex taillés dans les champs, a cherché à identifier les lieux de vie des populations qui habitaient la région au cours de la Préhistoire. Il entreprit alors de nombreuses fouilles et découvrit plus de cent hypogées, mais il ne trouva jamais les habitats qu’il cherchait. C’est André Brisson qui a découvert le site de Val-des-Marais « Le Pré à Vaches » en 1924, à partir d’outils en silex trouvés dans la terre noire des taupinières. Il a ensuite réalisé des fouilles ponctuelles jusqu’en 1933, mais l’absence de décapages mécaniques ne pouvait lui permettre de dégager et de comprendre ces grandes structures, ni l’organisation spatiale du site.
Ce site d’habitat vient compléter nos connaissances sur cette région qui recèle déjà une très grande richesse archéologique pour cette période du Néolithique récent. Rappelons que 135 hypogées, 5 allées couvertes mégalithiques, 15 minières de silex couvrant plus de 400 ha, 8 polissoirs mégalithiques et des champs mis en culture par écobuage y sont déjà connus. Un tel ensemble de sites représentant tous les aspects de la société (domestique, funéraire, artisanal et agricole) ne connaît pas d’équivalent en Europe occidentale pour cette période. C’est à ce titre que cette découverte majeure prend toute son ampleur scientifique. Elle devrait permettre de répondre à de nombreuses questions sur les modes de vie et sur les relations entre les groupes humains qui vivaient dans cette région à cette période. Elle ouvre également de nombreuses perspectives de comparaisons entre les habitats et les sépultures, et devrait permettre de reconstituer l’organisation sociétale, économique et territoriale des sociétés du Néolithique.
Rémi Martineau, Fabien Langry-François et Guillaume Lépine