Limes et Ager. Analyse archéologique des constructions linéaires en pierre sèche (Italie) / campagne 2023
Limes et Ager. Analyse archéologique des constructions linéaires en pierre sèche : un outil pour l’archéologie des systèmes agraires et de l’organisation des espaces euro-méditerranéens.
Le cas de la Pouille (Italie) et approches comparatives.
Campagne de terrain 3-14 juillet 2023
Axe « Fabrique du paysage » – Projet BQR Région 2023
[Lien vers la fiche du projet]
Au sein de l’axe « Fabrique du paysage », ce programme de recherches porte sur le bâti rural en pierre sèche des plateaux calcaires de la Pouille (Italie sud-orientale). Ici, depuis de nombreux siècles, l’épierrement a fourni la matière pour bâtir d’innombrables aménagements, qu’il a toujours été plus économique de conserver ou abandonner que de démonter. Certains murs et pierriers linéaires parementés peuvent atteindre jusqu’à une dizaine de km de long.
À partir de l’année 2023, les grands murs, pierriers et clapiers à caractère linéaire et parcellaire en pierre sèche de la région ont été constitués en corpus spécifique et mis au centre d’un programme réunissant des spécialistes de géohistoire, géoarchéologie, construction en pierre sèche, archéologie agraire, archéologie du bâti et géomatique. Outre Giovanni Stranieri, porteur du projet et spécialiste de l’archéologie des paysages agraires, Pascale Chevalier et Mélinda Bizri apportent leur expertise en archéologie du bâti tandis qu’Amélie Quiquerez supervise les approches géoarchéologiques. De plus, une collaboration a été établie avec l’UMR 5600 EVS-ISTHME (Lyon-Saint-étienne), à laquelle appartiennent Sarah Réault, qui travaille sur les aspects géohistoriques, et Pierre-Olivier Mazagol, géomaticien. Enfin, l’équipe est complétée par Louis Cagin (Association « Une pierre sur l’autre », Drôme), murailleur professionnel et auteur de publications sur les techniques de construction en pierre sèche.
Au mois de juillet 2023, une équipe de douze opérateurs – chercheurs et étudiants – a inauguré le relevé photogrammétrique, la couverture photographique à basse altitude et la caractérisation morphologique et structurale du plus imposant des murs et pierriers parementés (localement « paretoni ») de la Pouille (longueur actuellement observable 2260 m, 1,5 à 3 m de hauteur et 2 à 7 m de largeur), situé à l’est de Tarente, sur la commune de Sava. Mélinda Bizri a dirigé une équipe constituée de Nadia Saint-Luc, Nans Vidal et Océane Theillac dans la réalisation du relevé photogrammétrique du versant oriental du tronçon central du paretone, long de 527 m. Parallèlement, David Pilloix a réalisé une couverture photographique exhaustive de la totalité du paretone, via plusieurs survols de drone à basse altitude. En même temps, Pascale Chevalier et Louis Cagin, avec l’aide de Marie Sannajust et Esther Souriot, ont réalisé la description typo-morphologique des élévations, appuyée sur une lecture structurale de l’appareillage, à la recherche des phases de construction, sur le versant oriental du tronçon central. Margaux Rogazy, étudiante en prépa BCPST, a réalisé un relevé phytosociologique et arachnologique sur les deux versants du paretone, afin de repérer d’éventuelles différences concernant l’histoire de l’utilisation du sol. Enfin, Sarah Réault et Giovanni Stranieri ont parcouru la masse parcellaire autour du paretone, afin de documenter la variété typologique des aménagements en pierre sèche, les caractéristiques pédologiques et géomorphologiques du secteur, les possibilités d’accès à l’eau et l’utilisation du sol. Cette action a permis également d’établir un contact direct avec plusieurs propriétaires des parcelles environnantes et notamment avec ceux qui pourraient autoriser la réalisation de sondages dans leur propriété dans les années à venir.
Les résultats de cette année probatoire sont à nuancer selon les postes d’actions. En effet, le relevé photogrammétrique a nécessité un gros travail de débroussaillage que nous avions sous-estimé. Nous demanderons pour l’an prochain une intervention en amont des services de la mairie afin de procéder plus rapidement au relevé du versant occidental. En revanche, la caractérisation morphologique et structurale, menée par Louis Cagin et Pascale Chevalier, a d’ores et déjà produit des résultats concrets et très prometteurs : la lecture du mur a permis de détecter des secteurs pouvant correspondre à d’anciens passages, des cabanes ou des abris temporaires effondrés, qui n’avaient pas été décelés jusqu’alors. Ainsi, le paretone semble devoir sa forme matérielle actuelle au fait qu’il s’est constitué en clapier sur une longue période de temps, augmentant de volume au fur et à mesure des épierrements et des dépôts atour d’un noyau initial bien moins monumental. Il semble que notre ouvrage doit donc être pensé comme un bâti évolutif, un aménagement à long terme, qui consigne l’information de chaque phase de la construction, de l’état initial – daté entre 670 et 880 n.è., sur la base des données actuellement disponibles – à sa forme actuelle. Cette hypothèse de lecture est confortée par le réexamen des photos et des relevés issus de sondages menés par le passé et devra être ultérieurement vérifiée par les sondages à venir. La lecture technique de l’ouvrage devra également prendre en compte les informations géo-pédologiques et l’appareillage de chacune des phases de dépôt dans le but d’interpréter l’ouvrage comme un reflet de l’aménagement agraire des parcelles alentours.
Sur la base de ces résultats, nous pouvons envisager un programme de plus grande envergure, s’échelonnant sur la période 2024-2027. Une fois achevé le relevé photogrammétrique et la lecture structurale du versant ouest, plusieurs sondages seront menés sur le paretone de Sava, ainsi que sur les murs qui s’y connectent, assortis d’une étude géomorphologique et d’une étude géohistorique incluant la carte archéologique déjà constituée par le passé. À l’échelle de la région, nous allons également mener la caractérisation morphologique et structurale d’au moins deux autres délimitations similaires ; nous compléterons aussi le recensement de toutes les macrostructures linéaires en pierre sèche régionales, déjà réalisé par le passé. Enfin, l’organisation d’une série de rencontres scientifiques autour de ces structures liminaires et parcellaires en pierre sèche, actives ou fossiles, fera de Dijon le centre de gravité d’études comparatives à l’échelle européenne. Dès le printemps prochain, nous organiserons un séminaire de recherche comparatif portant sur l’architecture en pierre sèche dans les territoires de la Pouille, de la Bourgogne et du Grand Est.
Afin de fournir une assise plus robuste au projet, un deuxième partenariat va être officialisé avec l’Università del Salento (Lecce, Italie) en la personne de Paul Arthur, archéologue médiéviste, et de Girolamo Fiorentino et Anna Maria Grasso, archéobotanistes. Nous escomptons encore proposer une collaboration, sous une forme qui reste à déterminer, avec l’École française de Rome.