Limes et Ager. Analyse archéologique des constructions linéaires en pierre sèche : un outil pour l’archéologie des systèmes agraires et de l’organisation des espaces euro-méditerranéens.
Le cas de la Pouille (Italie) et approches comparatives.
La deuxième campagne de terrain du programme de recherche sur les grands aménagements linéaires en pierre sèche de la Pouille, en Italie méridionale (voir le compte rendu 2023), a eu lieu du 4 au 16 juillet 2024.
Une équipe de 11 opérateurs – chercheurs et étudiants des universités de Bourgogne, Clermont-Auvergne et Jean Monnet Saint-Étienne ainsi qu’un murailleur stagiaire du centre de formation Batipole en Limouxin (Aude) – a mené à terme le relevé photogrammétrique, la couverture photographique à basse altitude et la caractérisation morphologique et structurale du plus imposant des murs et pierriers parementés (localement « paretoni ») de la région (longueur actuellement observable 2260 m, 1,5 à 3 m de hauteur et 2 à 7 m de largeur), situé à l’est de Tarente, sur la commune de Sava.
Figure 1 – Le paretone de Sava. Vue aérienne oblique N-S (cliché David Pilloix)
Cette année, c’est le versant ouest du tronçon central de cet ouvrage colossal, long de 527 m, qui a été relevé et analysé. Comme l’an dernier, un important travail préalable de débroussaillage a été nécessaire afin de pouvoir libérer les surfaces à photographier et positionner au GPS. À l’extrémité nord du tronçon étudié, sur 70 m environ, ces opérations ont été rendues impossibles par la densité extrême de la végétation spontanée qui recouvre le mur et pousse devant le versant ouest. À l’exception de ce secteur, donc, l’équipe menée par Mélinda Bizri a pu compléter le travail entamé l’an dernier. Parallèlement, plusieurs survols de drone à basse altitude sont venus compléter cette documentation. Désormais, nous disposons des données de terrain qui permettront l’élaboration d’un modèle tridimensionnel et géoréférencé de très grandes portions de l’ouvrage, interrompues par quelques lacunes.
Figure 2 – Débroussaillage sur le versant ouest du paretone (cliché Giovanni Stranieri)
En même temps, Pascale Chevalier et Louis Cagin ont dirigé les opérations d’analyse typo-morphologique des élévations, appuyée sur une lecture structurale de l’appareillage, à la recherche des phases de construction. Comme sur le versant oriental, la lecture du mur a permis de détecter des secteurs pouvant correspondre à d’anciens passages, des cabanes ou des abris temporaires effondrés, qui n’avaient pas été décelés jusque-là.
Figure 3 – Un probable passage traversant le paretone, aujourd’hui condamné (élab. graphique Mélinda Bizri)
Ainsi, l’emprise et l’aspect actuels du paretone se configurent comme le résultat d’une série d’aménagements, d’additions et de soustractions, que l’analyse du bâti permet de reconnaître et que les sondages à venir devront corroborer et caractériser. Cependant, par-delà la similitude de ces processus sur les deux versants, cette partie occidentale du mur a fait l’objet de moins de soins et de moins de réfection et apport de matériau. La façade ouest est, en effet, davantage ponctuée d’éboulement et englobe bien moins de cabanes abandonnées ou fonctionnelles que la façade opposée. Au total et dans l’attente de l’élaboration d’un modèle numérique et des sondages à venir, ces observations semblent confirmer l’hypothèse – avancée dès la première campagne – que le noyau originaire du mur a été accru essentiellement par des apports venant de la réorganisation du substrat en vue d’augmenter la productivité des terres situées à l’est.
Figure 5 – Vue zénithale S-N du paretone (cliché David Pilloix)
Figure 6 – Vue oblique S-N du paretone (cliché Louis Cagin)
Figure 7 – Aménagements observés le long du paretone, plus nombreux sur le versant oriental (croquis Louis Cagin)
En parallèle de ces actions de terrain, nous avons établi des relations de confiance avec l’administration municipale et les associations locales. Des conférences ouvertes au grand public ont été réalisées à Sava et une exposition documentaire y a été inaugurée le 1er mars 2024. De plus, le travail réalisé dans le cadre de deux autorisations annuelles d’opérations archéologiques non destructives a permis d’obtenir une autorisation triennale de fouilles programmées, délivrée par le ministère italien de la Culture, qui court jusqu’au 6 août 2027.
La voie est désormais ouverte pour la réalisation d’une série de sondages qui vont s’échelonner sur les trois années à venir. Par ces sondages, nous escomptons vérifier les hypothèses émises au sujet des phases d’aménagement successives qui ont conduit à l’état actuel du paretone. En particulier, deux sondages seront réalisés 30 et 40 m au nord d’un sondage mené en 2009 dont la documentation a pu être réinterprétée à la lumière des récentes campagnes d’analyse du bâti. Ces sondages serviront aussi à enrichir les bases de données céramologique et anthracologique afin d’établir des datations fiables. D’autre part, l’étude archéobotanique des charbons de bois viendra compléter nos connaissances sur l’évolution du paysage végétal alentour au fil du temps. Dans cette perspective, un deuxième partenariat va être officialisé avec le Dipartimento di Beni Culturali de l’Università del Salento (Lecce, Italie) en la personne de Paul Arthur, archéologue médiéviste, et de Girolamo Fiorentino et Anna Maria Grasso, archéobotanistes.
Enfin, le projet vise à contribuer à fédérer les chercheurs qui travaillent sur l’archéologie des aménagements linéaires en pierre sèche, à l’échelle européenne. Dans ce but, une première rencontre scientifique autour de cette thématique a été organisée dans les locaux de notre université le 20 novembre 2024. À l’automne 2025, une deuxième rencontre du même genre et une exposition documentaire seront organisées à l’Université Jean Monnet Saint-Étienne.