Saint-Dizier « Les Crassées » (Haute-Marne) : bilan du deuxième programme triennal / campagnes 2017-2019
Dates de fouilles : du 06 juin au 07 juillet 2017, du 04 juin au 06 juillet 2018 et du 27 mai au 12 juillet 2019
Responsables : Raphaël Durost (Chargé de recherches, Inrap, UMR 6298 ARTeHIS), Stéphanie Desbrosse-Degobertière (Chargée de recherches, Inrap, UMR 6273 CRAHAM)
Collaborateurs : Mathilde Bolou (Université d’Aix-Marseille), Nicolas Delferrière (Université de Bourgogne-Franche-Comté, UMR 6298 ARTeHIS), Anne Delor-Ahü (Inrap, UMR 7041), Serge Février, Cyril Jourdain (Université de Bourgogne-Franche-Comté), Mikaël Sévère, Pierre Testard (Inrap), Marie-Cécile Truc (Inrap, UMR 6273 CRAHAM)
Le contenu des trois campagnes de fouilles qui viennent de s’écouler est dans le prolongement des précédentes, qui ont lieu chaque année depuis 2011. L’exploration se poursuit en deux secteurs distincts. Le premier, au sud, au sommet du versant de la vallée de la Marne, est le plus riche puisqu’il contient à la fois une occupation domestique antique et une occupation funéraire médiévale longue de sept-cents ans. Le second, au nord, au pied du versant, ne contient que l’occupation antique et, pour l’heure, de maigres éléments médiévaux. En revanche l’état de conservation des niveaux d’occupation et d’abandon est bien meilleure grâce à sa position en pied de pente.
L’occupation gallo-romaine
L’occupation gallo-romaine est donc présente dans les deux secteurs (figure 2). Elle se manifeste par deux bâtiments résidentiels en dur, un dans chaque secteur. Le plus ancien est situé au sud, sur le sommet du versant. La date de sa construction est actuellement située vers le milieu du Ier s. de notre ère. Il est loin d’être intégralement exploré, y compris dans sa partie décapée. Il y a de fortes chances pour qu’il ne subsiste que peu d’éléments d’origine tant l’occupation funéraire postérieure est intrusive à cet endroit.
Le bâtiment résidentiel installée plus au nord, au pied du versant, est construit au plus tôt à la fin du IIe s. Il est légèrement désaxé par rapport au précédent. Seule son extrémité sud est actuellement connue (figure 3 et 4), les trois dernières campagnes n’ayant permis de fouiller qu’une partie des strates qui recouvrent les maçonneries des salles balnéaires : elles atteignent 1,60 m en moyenne.
Ces campagnes montrent que les bains de cette phase sont équipés de deux praefornia, chauffant en tout quatre pièces par hypocauste. Dans un second temps, au plus tôt dans le dernier quart du IIIe s., les salles chauffées sont divisées en deux espaces séparés, toujours avec les deux mêmes praefornia. Une entrée est désormais localisée dans la galerie de façade. Large de 3 mètres, elle permet d’accéder aux bains depuis une cour, et fait face à un escalier descendant dans un des praefornia.
Les strates d’occupation sont particulièrement riches en mobilier, notamment dans le praefornium le plus exploré, où des recharges argileuses alternent avec des couches de cendres, le tout formant un feuilleté chronologiquement précis, qui démontre que la chaufferie fonctionne jusqu’à la fin du IVe siècle. Au-delà, cette partie du bâtiment n’est ni occupée ni entretenue : l’effondrement à plat d’un pan entier de mur scelle les niveaux d’occupation. Dans la galerie de façade voisine, les niveaux d’occupation sont recouverts par la toiture de dalles calcaires effondrée, mêlée à l’enduit peint des murs, manifestement tombé au même moment. Les motifs ne sont pour l’heure pas connus, faute de reconstitution. Seul un moucheté rouge sur fond blanc au niveau des plinthes est avéré, surmonté d’une large ligne rouge marquant probablement le début du registre principal.
L’occupation mérovingienne
L’occupation du Ve siècle ne se manifeste pour l’heure que par du mobilier détritique dans les niveaux d’abandon. L’aménagement médiéval le plus ancien reste une sépulture aristocratique du début du VIe siècle, fouillée dans la partie sud en 2015. Les campagnes suivantes permettent en revanche de prouver l’existence d’un bâtiment en dur au même endroit, datant au plus tard du VIIe siècle, qui réinvestit une pièce gallo-romaine excavée (figure 5). Toujours en cours de fouille, elle contient pour l’heure au moins deux phases architecturales dont les murs de pierres ne présentent pas de traces de liant. Sur le fond, une aire rectangulaire de 5 m² est davantage décaissée pour armer le sol d’un radier de gros blocs de calcaire. Hélas le contenu de cet espace est intégralement bouleversé par un creusement postérieur à l’occupation funéraire, manifestement destiné à visiter en détail la pièce. Les fragments d’armes et de bijoux mérovingiens rencontrés dans le sédiment laissé par les visiteurs, ainsi que les nombreux restes humains, laisse deviner la nature des dépôts détruits. La sépulture aristocratique conservée appartient donc probablement à un regroupement élitaire dont le reste est détruit.
Les inhumations datées avec certitude de la période mérovingienne sont rares dans le reste de la nécropole. Parmi les huit-cents et quelques étudiées à ce jour, elles ne sont qu’une quinzaine. La difficulté réside dans la destruction d’une majorité d’entre elles par les tombes postérieures mais aussi par l’absence de mobilier d’une autre part, à l’image de celles que des datations radiocarbones révèlent de manière inattendue. A l’inverse, les trois dernières campagnes n’apportent qu’une seule inhumation à scramasaxe et à élément de ceinture métallique. Son emplacement est toutefois à retenir : elle est aménagée contre le mur interprété comme le deuxième état de l’édifice mérovingien, du côté extérieur. Les deux inhumations en arme exhumées lors des campagnes antérieures à 2017 sont d’ailleurs elles aussi toutes proches.
L’occupation carolingienne et centro-médiévale
Les conclusions formulées en 2016 au sujet des deux phases architecturales de l’édifice cultuel du IXe au XIIe s. restent inchangées. Seule la mise en évidence d’un léger désaxage des deux plans est à ajouter. En revanche leur environnement est mieux connu. A l’est, autour du chevet du dernier état, les inhumations côtoient deux ossuaires, des constructions sur poteau et des structures de combustion datées du XIe et XIIe s. Mêmes si ces types d’aménagement peuvent exister au cœur de cimetières paroissiaux, ceux des Crassées annoncent probablement la périphérie du cimetière car plus à l’ouest, elles sont totalement absentes. Au même endroit, la préservation de deux états de sol est également à noter. Le plus récent, daté du XIe au XIIIe s., est exclusivement constitué d’un épandage de centaines de kilogrammes de scories de de fer. Il témoigne de la grande quantité de minerai réduit par les habitants de la paroisse après la période carolingienne.
Les défunts du Moyen âge central constituent à ce jour la majorité des individus datés. Sur les quarante-huit datations radiocarbones réalisées, seules huit sont antérieures au XIe s. Les pratiques funéraires de cette période sont très homogènes à l’exception des orientations. En effet plusieurs tombes, toutes situées dans la partie sud du cimetière, présentent une orientation nord/sud totalement atypique pour cette période. Ce phénomène demandera à être éclairci dans les années à venir. La plupart semble inhumée en cercueil de bois chevillé (rarement cloué) mais certains sont déposés dans des sarcophages antérieurs. D’autres, peut-être plus anciens d’après une des datations radiocarbones, sont allongés dans une bille de chêne évidée, donnant une taphonomie particulière au squelette.
Si l’absence totale de mobilier d’accompagnement est la règle, quelques exceptions singulières sont à signaler : à ce jour, trois individus adultes sont accompagnés d’une clef en fer volontairement déposée, sous les vertèbres cervicales dans un cas, sous les vertèbres lombaires pour le second et sous le tibias pour le dernier. La signification de ce geste rare demeure inconnue et les comparaisons quasi inexistantes.