Saint-Dizier « Les Crassées » (Haute-Marne) : bilan du troisième programme triennal / Campagnes 2021-2023

Dates de fouille : du 25 mai au 09 juillet 2021, du 30 mai au 08 juillet 2022 et du 30 mai au 07 juillet 2023

Responsables : Raphaël Durost (Chargé de recherches, Inrap, UMR 6298 ARTeHIS), Stéphanie Desbrosse-Degobertière (Chargée de recherches, Inrap, UMR 6273 CRAHAM)

Collaborateurs : Anne Delor-Ahü (Inrap, UMR 7041), Serge Février, Valentin Miclon (UMR 6273 CRAHAM), Mikaël Sévère, Pierre Testard (Inrap), Marie-Cécile Truc (Inrap, UMR 6273 CRAHAM)

La campagne de 2023 était la dernière avant une période de plusieurs années destinée à produire une publication monographique des résultats.

Le contenu des trois dernières campagnes est dans le prolongement des précédentes, qui ont eu lieu chaque année depuis 2011 (excepté en 2020). L’étude des aménagements non funéraires des deux aires de fouille ouvertes depuis dix ans s’est achevée en 2021, ce qui a permis de s’étendre au secteur intercalé entre les deux aires, sur le versant de la vallée, et d’atteindre une surface 2 300 m². L’occupation couvre les douze premiers siècles de la période historique.

Figure 1 : Plan chronologique simplifié au terme de la campagne de 2023

L’occupation gallo-romaine

L’occupation gallo-romaine se manifestait déjà par deux bâtiments résidentiels en dur, l’un au sud, au sommet du versant, utilisé à une date inconnue, et l’autre en contrebas, au nord, bâti au milieu du IIIe siècle et abandonné à la fin du IVe siècle.

Figure 2 : Plan simplifié de l’occupation gallo-romaine

Les trois dernières campagnes permettent de connaitre le premier dans son intégralité (385 m²), sans pour autant arriver à fixer sa chronologie et la fonction de chacune de ses pièces tant l’occupation funéraire postérieure bouleverse les strates antiques. Rappelons toutefois qu’une pièce au moins bénéficie d’un chauffage par hypocauste, dont l’affaissement a piégé plusieurs milliers de tesselles d’une mosaïque noire et blanche, et que le sol d’une autre conserve les lambeaux d’une épaisse dalle de mortier, peut-être celle d’une piscine. L’exploration intégrale de la salle centrale, qui borde les deux précédentes, constitue le principal acquis des campagnes récentes. Bien que son niveau de circulation soit particulièrement plus encaissé, sa réutilisation en chapelle funéraire mérovingienne nous prive de toute la stratigraphie antique. L’arase de son sol garde néanmoins la trace d’un bassin polygonal de 3,4 m², maçonné au mortier hydraulique, au centre de la pièce. Un caniveau de vidange lui est appuyé et traverse le bâtiment pour déverser son contenu à l’extérieur. Sa fonction n’est pas connue. Il peut tout autant s’agir d’un bassin ornemental, balnéaire ou cultuel.

Figure 3 : Moitié conservée du bassin polygonal gallo-romain. Les murs qui l’entourent sont mérovingiens

L’état de conservation du second bâtiment est bien meilleur puisque l’occupation funéraire médiévale ne l’atteint pas et que la stratigraphie au pied du versant n’est pas érodée (elle atteint en moyenne 1,60 m d’épaisseur). Les 282 m² étudiés correspondent à l’extrémité sud du bâtiment, consacrée aux bains. Les trois dernières campagnes ont permis d’achever la fouille des deux praefornia et des bordures extérieures est et ouest de l’édifice. L’étude de la bordure sud n’est quant à elle pas achevée.  À cet endroit, une allée composée de deux rangées de dalles part de la galerie qui borde la façade orientale, et se dirige vers le sud pendant 7 m. Elle permet sans doute d’assainir un cheminement sur le versant très humide. Les données chronologiques obtenues confirment l’occupation du bâtiment du milieu du IIIe siècle jusqu’à la fin du IVe siècle.

Figure 4 : dalles de l’allée gallo-romaine liée au bâtiment nord

Ces deux bâtiments appartiennent probablement à un établissement rural aisé, dont l’essentiel de l’assiette nous échappe. La découverte d’un qanât antique postérieur au bâtiment sud le démontre. L’aire étudiée en atteint un segment linéaire de 30 m de longueur qui traverse en diagonale le haut de la pente, et dont seuls 4 m sont fouillés. À cet endroit, il forme une tranchée de 2 m de profondeur creusée dans les alluvions grossières, jusqu’à atteindre l’étage d’argile plastique sous-jacent, en surface desquelles l’eau ruisselle abondamment sur tout le versant. L’immersion permanente a permis la conservation de deux tronçons de caniveau en chêne, déposés l’un derrière l’autre dans l’axe de la tranchée. Cet aménagement est donc destiné à drainer les eaux souterraines vers le nord-est, en contrebas. Un tel investissement doit servir à alimenter une installation économique ou ornementale conséquente, illustrant la part d’inconnu qui persiste malgré plus de dix campagnes de fouille.

Figure 5 : caniveau en chêne du qanât gallo-romain

L’occupation mérovingienne

Figure 6 : plan simplifié de l’occupation mérovingienne

L’occupation du Ve siècle ne se manifeste pour l’heure que par du mobilier détritique dans les niveaux d’abandon. L’aménagement médiéval le plus ancien reste une sépulture aristocratique du début du VIe siècle, implantée dans la bâtiment antique sud, en bordure de la salle profonde dotée du petit bassin. Les campagnes récentes révèlent qu’au VIIe siècle, cette pièce est déblayée et surmontée d’une élévation en dur, sans trace de mortier, munie d’une entrée dans le côté nord. L’installation en son sein d’une femme adulte inhumée en sarcophage, contre l’angle nord-est, révèle la vocation funéraire de l’édifice. L’agglomération de la plupart des sépultures mérovingiennes autour de lui et de la sépulture mitoyenne du VIe siècle, exprime quant à elle l’importance spirituelle du lieu. Hélas, en dehors de ce sarcophage préservé grâce à l’effondrement de l’élévation, le reste du contenu de la salle est bouleversé par un creusement postérieur à l’occupation funéraire, manifestement destiné à visiter en détail la pièce. Les fragments d’armes et de bijoux mérovingiens rencontrés dans le sédiment laissé par les visiteurs, ainsi que les nombreux restes humains, laisse deviner la nature des dépôts détruits.

Figure 7 : Photogrammétrie (© M. Sévère) du réaménagement en chapelle funéraire (teinte rouge) de la salle gallo-romaine (teinte jaune)

L’occupation carolingienne et centro-médiévale

Un total d’un peu plus d’un millier d’inhumations est étudié au terme des trois dernières campagnes (voir la première figure). Elles se concentrent toujours plus autour des deux édifices de culte du Xe au XIIe siècle qui succèdent à la chapelle mérovingienne. L’accumulation d’individus inhumés jusqu’au XIIe siècle contre cette dernière, probablement reconstruite durant la période carolingienne, montre l’attractivité qu’elle exerce jusqu’à l’abandon du cimetière.

L’ouverture du secteur située entre les deux aires de fouille antérieures permet d’atteindre la limite septentrionale du cimetière. Deux aménagements successifs y matérialisent la rupture de pente du versant. Le premier est fossoyé et le second en élévation, en pierres sèches. L’organisation des sépultures suggère qu’elles tiennent compte de cette limite : bien qu’elles en occupent les deux côtés, l’implantation des plus proches forme deux lignes qui lui sont parallèles. Il semble qu’une distance minimale constante soit respectée de part et d’autre. Ce constat est toutefois déroutant puisqu’il conclut à la fois au respect du marqueur parcellaire, et à la fois à son franchissement.

La plupart des sépultures ne contient aucun mobilier. L’évolution chronologique du plan du cimetière est donc très difficile à établir, d’autant plus que les chevauchements ne dépassent jamais quatre tombes successives.  Les mesures archéométriques réalisées à ce jour sur 68 individus montrent toutefois une augmentation démographique à partir du Xe siècle puisque 47 des fourchettes de datation excluent les siècles antérieurs.

L’aire fouillée témoigne également de constructions non funéraires durant cette période. En dehors des trous de poteau, dont la répartition ne permet hélas de dégager aucun plan architectural cohérent, six cabanes artisanales semi-excavées sont présentes. Deux d’entre elles sont implantées dans le cimetière et les quatre autres plus au nord. Le creusement des deux premières provoque la destruction d’inhumations antérieures puis, après leur abandon et leur colmatage, elles sont elles mêmes entamées par de nouvelles sépultures. Ces structures témoignent d’une conception du cimetière comme un espace polyvalent, apte à accueillir le travail destructeur d’artisans. Faute d’éléments chronologiques précis pour le moment, il n’est pas encore possible de déterminer si les sépultures détruites sont visibles depuis la surface à ce moment-là, mais il est évident que les squelettes rencontrés par les terrassiers suffisent à les signaler. Le projet artisanal ne s’interrompt pas pour autant. Par ailleurs, les manipulations habituelles des restes osseux rencontrés par les fossoyeurs de nouvelles inhumations ne sont pas possibles dans de telles cabanes : le squelette ne peut être ni réduit dans un coin de la fosse, ni rapidement reversé en vrac dedans. Les os exhumés doivent nécessairement subir un autre traitement, à l’écart de leur emplacement d’origine.

Figure 8 : cabane artisanale semi-excavée du XIe ou XIIe siècle, implantée dans le cimetière contemporain

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