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    Quatre années de fouilles sur le sanctuaire antique de Cobannus (Saint-Aubin-des-Chaumes Couan, Nièvre)

    Tags : antiqui

    Pierre Nouvel, UMR 6298 Artéhis / Université de Bourgogne Franche-Comté
    Pierre-stanislas.nouvel@u-bourgogne.fr

    Voilà quatre ans que nous avons débuté l’étude du sanctuaire antique dédié à la divinité Cobannus. Ce que nous visons, c’est l’étude complète de cet exemple caractéristique des lieux-de culte des campagnes de la Gaule de l’Est. L’année 2022 a coïncidé avec la fin d’une première étape. Elle a couvert quatre années, une probatoire (2019) suivie d’une triennale de fouille programmée (2020-2022, fig. 1 et 2). Elles ont permis au total l’exploration de 1 955 m² et de restituer l’évolution du sanctuaire en neuf étapes successives, depuis l’époque gauloise jusqu’à la fin du IVe siècle de notre ère. Cela correspond à peu près au tiers de l’extension du complexe, surface estimée à partir des données obtenues lors des prospections géophysiques.

    Fig. 1 : Vue aérienne des fouilles 2022 (cliché M. Thivet, 17 juin 2022).

    Fig. 2 : Mosaïque des orthophotographies réalisées par drone sur les quatre campagnes de fouilles sur le sanctuaire antique de Couan à Saint-Aubin-des-Chaumes (Nièvre) Cliché M. Thivet, Université de Franche-Comté.

    Ce sanctuaire se situe à environ sept kilomètres au sud-ouest du bourg de Vézelay (Yonne), sur la commune de Saint-Aubin-des-Chaumes (Nièvre).

    Déroulement des opérations

    Les opérations de fouilles se sont déroulées tous les mois de juin, sauf en 2020, où il a fallu la reporter en août à cause des contraintes sanitaires. Elles ont pris la forme d’un chantier école des Universités de Bourgogne et de Franche-Comté. Il a été encadré par Matthieu Thivet (Ingénieur de Recherche, Université de Franche-Comté, avec en particulier la supervision de la topographie et de la géophysique), Loïc Gaëtan (Inrap GES), Anaïs Lachambre (Bibracte) et Rebecca Perruche (Université de Franche-Comté), qui remplacera Pierre Nouvel dans la responsabilité de l’opération à partir de 2024. Le financement de l’opération a été assuré grâce au soutien du Ministère de la Culture / SRA Franche-Comté. Nous avons pu profiter du soutien logistique de l’EPCC Bibracte et de l’accueil enthousiaste des propriétaires des terrain, M. et Mme Marcelot, ainsi que de leur fils Pierre Marcelot, maintenant exploitant des terrains où se trouvent les vestiges. Le décapage de la terre remaniée par les labours et le rebouchage des fouilles, réalisé chaque année immédiatement après la fin de la campagne, ont été confiés à l’entreprise Trans-Terre de Saint-André-en-Terre-Pleine. L’équipe est logée dans les gîtes de Charancy (Saint-Aubin-des-Chaumes, Nièvre) et de Foissy-près-Vézelay (Yonne), où elle a reçu le meilleur accueil possible. De nombreux spécialistes ont contribué à l’exploitation des données : Sophie Goudemez (UMR 6298 Artéhis) pour la faune, Sylvie Mouton (Inrap GES) pour la céramique, Kevin Charrier pour les lots numismatiques et Rebecca Perruche pour le petit mobilier en particulier métallique. L’analyse des matériaux de constructions et des terres-cuites architecturales a été confiée à Jacques Ledier, les fragments de verre à Laura Bécard (Master ASA, Dijon), les blocs architectoniques à Serge Février et la statuaire à Eloïse Vial (Bibracte). Enfin, Maria Hajnalova (université de Nitra, Slovaquie) a expertisé les prélèvements paléo-environnementaux.

    Fig. 4 : Vue de la partie ouest de l’aire de fouille 2022 en fin de campagne. Au premier plan, le fossé de péribole puis les vestiges du bâtiment septentrional et enfin, à l’arrière-plan, la cour nord.

    Chaque année, les travaux de fouille ont consisté dans l’exploration complète, jusqu’au substrat géologique, des niveaux archéologiques conservés sous les labours (fig. 4). Leur analyse stratigraphique précise et l’étude des mobiliers que contenait chacune des couches a permis de restituer l’évolution du site, depuis sa création, à l’époque gauloise, jusqu’aux derniers réaménagements, au cours de l’Antiquité tardive. A l’aide d’un drone, M. Thivet a réalisé des photographies verticales, assemblées sous formes d’orthomosaïques successives (fig. 2), qui documentent chacune des étapes de fouille (fig. 5).

    Fig. 5 : Orthophotographie de la fouille 2022 (acquisition / traitement : M. Thivet).

    Ces documents géoréférencés ont servi de base pour la réalisation de plans phasés, c’est-à-dire de plans rassemblant l’ensemble des structures conservées contemporaines d’une étape d’aménagement.

    Fig. 6 : Le fossé gaulois à profil en V délimitant l’aire centrale quadrangulaire du sanctuaire, creusé dans le calcaire et comblé progressivement durant le début de l’époque romaine.

    Fig. 7 : La fosse qui avait contenu le trésor de Cobannus, pillée en 1977. La fouille (ici seulement réalisée sur une moitié) a reconnu sa forme et son remplissage, très aéré. Il était caractéristique d’un remaniement très récent, différent de celui des fosses voisines comblées à l’époque romaine.

    Fig. 8 : Evolution synthétique du sanctuaire de Couan, d’après les données livrées par les quatre campagnes de fouille 2019 à 2022.

    Le sanctuaire de Cobannus, de l’époque laténienne à l’Antiquité tardive

    Les fouilles réalisées depuis 2019 ont permis de préciser ses différentes évolutions, depuis la fin de la période laténienne (gauloise) jusqu’aux dernières décennies du IVe siècle de notre ère.

    Neuf états successifs principaux d’aménagement ont été documentés (fig. 8 et 9). Retenons en particulier deux séquences : la première, en terre et bois, datée de la période laténienne et de l’époque-romaine précoce (états 1 à 3), la seconde, caractérisée par la mise en œuvre des modes de constructions maçonnés (états 41 à 7), datée de la fin du Ier à la fin du IVe siècle de notre ère.

    États

    Principaux aménagements

    Particularité

    Datation absolue

    Etat 1

    Creusement du fossé / structures pré-anthropiques

    Terre et bois

    La Tène moyenne / finale ?

    Etat 2

    Occupation de l’enclos fossoyé

    Terre et bois

    Gallo-romain précoce

    Etat 3

    Occupation de l’enclos fossoyé, voie et limite palissadée, bâtiment sur poteaux dans la cour 5

    Terre et bois

    Julio-claudien

    Etat 41

    Creusement de carrières, terrassement du temenos

    Terre et bois

    Après milieu Ier de n.-è.

    Etat 42

    Construction du péribole, du temple et du mur de clôture, 1er bâtiment oriental, premier état de voie

    Pétrification

    Fin Ier s. de n.-è.

    Etat 43

    Deuxième état de voie, rajout d’une galerie et réaménagement du bâtiment oriental et construction du bâtiment septentrional

    Maçonné

    Début IIe siècle de n.-è. ?

    Etat 5

    Deuxième état des bâtiments périphériques, caniveau oriental

    Maçonné

    IIe siècle de n.-è. ?

    Etat 6

    Séparation des cours 5 et 7, condamnation de la voie et destruction de la galerie

    Maçonné

    IIe siècle / début IIIe

    Etat 7

    Mise en place des pièces 2, 3, 15 ; aménagement du fossé au nord (espace 17) ; enfouissement du dépôt ; incendie et démantèlement

    Maçonné

    Fin IIIe siècle et IVe siècles

    Etat 8

    Récupération, arasement et colluvionnement

    Moderne / contemporain

    Fig. 9 : Tableau synthétique des phases d’évolution du sanctuaire de Couan reconnues à la fouille.

    L’état 1 (fig. 8 et 9, A) reste méconnu. Il correspond à une occupation gauloise, avec en particulier le creusement d’un fossé de quatre mètres de large pour moins de deux de profondeur (fig. 6). Il détermine un enclos apparemment carré, selon un modèle mis en évidence sur plusieurs sites régionaux, avec une enceinte modeste en termes de superficie (ici 22 x 22 soit autour de 600 m² internes). Il est envisageable, d’après le seul poteau découvert sous les remblais de l’état 2, qu’un bâtiment cultuel en terre et bois ait précédé le temple maçonné d’époque impériale, comme cela avait été observé à Nitry.

    L’état 2 (fig. 9 et 10, B) a lui aussi subi d’importantes destructions lors des terrassements de l’état 41. Il est daté de l’époque romaine précoce. D’après ce que l’on en perçoit, il semble perpétuer la structure initiale du fossé de péribole. Ce dernier semble cependant doublé par une palissade extérieure qui pourrait lui être concentrique, à 30m de distance. Un bâtiment sur poteaux, très arasé, a été reconnu dans l’espace intermédiaire ainsi délimité, au nord du temenos. C’est dans les remplissages du fossé de cet état qu’a été découverte une remarquable statue anthropomorphe en pierre, rejetée après avoir été volontairement mutilée. Elle fait 25,6 cm de hauteur conservée, 16,9 cm de large pour 7,4 cm maximum d’épaisseur (fig. 11). La sculpture aujourd’hui acéphale montre un corps tronqué dans les parties supérieures et inférieures. Le personnage est représenté jusqu’à mi-cuisse, le bras gauche replié sur la poitrine. Il porte un vêtement à chevrons qui recouvre le torse et les fesses alors que les cuisses sont nues. Les figures humaines dressées sont connues depuis le Hallstatt et empruntent différents styles tout au long des âges du Fer.

    Fig. 11 : Photographie de face et de revers de la statue protohistorique en calcaire découverte sur le sanctuaire de Couan (© Bibracte/Antoine Maillier 2019).

    L’état 3 (fig. 8 et 9, C), daté de la première moitié du Ier siècle ne révèle pas d’évolution majeur. La palissade extérieure est reconstruite et se matérialise maintenant par deux lignes de poteaux. A l’est du temenos, un chemin creux ou cavée se met en place. Au nord, dans la cour septentrionale, deux trous de poteau ont été reconnus, associés chacun à un dépôt de vase entier (fig. 12). Il confirme l’accueil de pratiques ritualisées dans cet espace intermédiaire.

    Fig. 12 : Céramique complète retrouvée déposée dans une petite fosse associée à des trous de poteau de l’état 3 (première moitié du Ier s. de n.-è.).

    L’état 41 (fig. 8 et 9, D) correspond aux prémices de la pétrification du sanctuaire, dans le troisième tiers du Ier siècle de notre ère. Les travaux consistent dans la mise en place d’une terrasse recouvrant le temenos (en déblai vers l’est, en remblai vers l’ouest) et dans le curage du fossé péribole. Ils s’accompagnent d’une grande phase d’extraction de calcaire (fig. 13). Ces matériaux ont servi aux remblais, mais aussi à la fabrication de chaux, comme le prouve des structures de chaufourniers fouillées dans la cour septentrionale.

    Fig. 13 : photographie des carrières creusées vers le milieu du Ier s. de n.-è. pour extraire la pierre nécessaire à la reconstruction maçonnée du sanctuaire (à gauche, excavation encore comblée de son remplissage marron, à droite sondage dans le front de taille est).

    Trois fours à chaux ont été explorés. Il s’agit de grandes excavations circulaires d’à peu près 3 m de diamètre pour un peu plus de 3 m de profondeur. Nous n’avons pas repéré de fosse d’accès ou d’enfournement à la base. Il semble donc que les couches de matériaux calcaires extraits, alternant avec des niveaux de charbon de bois, étaient directement cuits dans ces structures, qui ne servaient ainsi qu’une seule fois.

    Fig. 15 : Vue des fondations en pierres du temple (au plan formé de deux carrés imbriqués) fouillé à moitié en 2019. La cella de plan carré, à gauche, est perforée en son centre par une vaste fosse tardive de récupération. Le mur périphérique qui l’entoure servait de soubassement à une galerie. Au premier plan à droite, on observe le départ d’un mur qui correspond au piédroit de l’escalier d’accès.

    Il est probable que ces matériaux ont aussi servi à l’édification du complexe maçonné qui marque l’état 42 (fig. 8 et 9, E). Cette phase de pétrification semble devoir être fixée à l’époque flavienne. Elle concerne à la fois le temple (à plan centré, ouvert à l’est, fig. 15), son mur péribole (construit sur la lèvre extérieure du fossé antérieur), un bâtiment annexe à l’est et un mur de délimitation extérieur. Ce dernier reprend, en partie, le tracé des anciennes palissades des états 1 à 3. L’espace intermédiaire est parcouru par une voie sinueuse, qui semble contourner l’espace sacré central (fig. 16).

    Cette organisation générale va se perpétuer au cours des IIe, IIIe et IVe siècles. L’état 43 (fig. 8 et 9, F), daté du de la première moitié du IIe siècle, voit le remaniement du bâtiment oriental et le creusement d’un grand fossé de drainage oblique. Il traverse la partie nord de l’espace compris entre le mur péribole et le mur périphérique. C’est également à cette période que sont construits une galerie prolongeant le péribole vers l’est et une base d’autel devant l’escalier d’accès au temple. Ce dernier surmonte le fossé de péribole définitivement comblé. Il se positionne ainsi immédiatement à l’aplomb de la statue de culte protohistorique, enfouie dans le remblai sous-jacent remontant aux états 1/2.

    Le bâtiment oriental va être totalement reconstruit au cours de l’état 5 (fig. 8 et 9, G), daté du IIe siècle. Un autre corps de bâtiment plus modeste prend alors place au nord. Au-delà, dans la cour, une ligne de bases empierrées (peut-être des édicules) sont disposées sur le comblement du fossé de drainage de l’état précédent.

    Fig. 16 : Vue de la voie contournant le sanctuaire à l’est (premier siècle de notre ère), recoupée par les fondations de bâtiments plus tardifs (IIe-IVe siècles).

    Lors de l’état 6 (fig. 8 et 9, H), à la fin du IIe ou au début du IIIe siècle, on assiste à la mise en place d’un mur percé d’un seuil, qui conduit à la délimitation de deux espaces de cours, à l’est et au nord du péribole. Cela entraine la condamnation de la voie orientale et de la galerie qui précédait à l’est le temenos (fig. 16). Un autre seuil, au nord-est du péribole, permet d’accéder dans une petite galerie sur poteaux qui couvre le nord-est de l’espace central. C’est aussi de cette période que l’on date les remaniements du bâtiment septentrional et l’aménagement d’un système de drainage, au-dessus du mur de délimitation extérieur. Ce caniveau, équipé d’un bassin de régulation en amont (?) se jette à l’aval dans une espèce de mare, délimitée par un mur de barrage.

    La dernière étape de l’antiquité (état 7, fig. 18), datée du IIIe et du IVe siècle, donne au sanctuaire sa physionomie définitive, mais aussi la plus complexe. Contrairement à ce qui s’observe dans nombre d’ensembles cultuels périurbains, nous assistons ici à une activité constructive assez marquée. La mise en place de deux nouvelles pièces (3 et 4) au nord-est et d’une troisième au nord (15) confirme que le sanctuaire de Couan fait encore l’objet, jusque dans la deuxième moitié du IVe siècle, d’une fréquentation importante et d’un entretien rigoureux. En témoigne d’ailleurs la présence de deux fosses à chaux, dans le bâtiment est et au nord-est (fig. 17). Un petit dépôt monétaire datée de cette période a d’ailleurs été découvert à l’ouest, contre la paroi extérieure du péribole. C’est à la fin de cette phase qu’est enfoui le trésor du temple, au centre de la cour septentrionale. Sa richesse démontre que le site n’avait encore rien perdu de sa parure.

    Fig. 17 : Vue d’un des bacs à chaux du début du IVe siècle, fouillé par moitié en 2019 au nord-est du sanctuaire.

    La fin de l’état 7 se caractérise cependant par des destructions violentes, avec un incendie général qui entraîne l’abandon définitif du site. Il est peut-être immédiatement suivi de quelques phases de récupération, en particulier au centre du temple. A cet endroit, une vaste fosse semble avoir contribué à la récupération d’un puissant aménagement préexistant (un puits ? fig. 15). Son mobilier ne fournit aucun indice postérieur à la fin du IVe siècle.

    Après leur abandon et leur oubli, ces vestiges sont progressivement arasés par les travaux agricoles (état 8). Les étapes les plus importantes de destruction semblent aussi les plus récentes, liées aux travaux de remembrement, à un sondage de B. Lacroix et aux divers pillages, dont celui, maintenant célèbre, de 1977.

    Un temple à plan centré caractéristique

    Logiquement, puisque le site est marqué par une stratification assez importante et par ces phénomènes d’incisions, ce sont les phases les plus récentes liées à la pétrification du sanctuaire qui ont été les mieux documentées. L’arasement du temple, réduit à ses fondations, est cependant trop profond pour disposer d’une vision claire des choix architecturaux successifs qui ont été mis en œuvre. Tout au plus peut-on noter quelques éléments métriques et planimétriques. Le temple édifié durant la phase 42, sur une terrasse aplanie préalablement sous la forme de déblais-remblais, atteint 13m de côté au total, pour une cella de 7m de côté (surface interne de 34m², fig. 3). Le plan livré par les fouilles confirme qu’il s’ouvrait bien vers l’est, par le moyen d’un aménagement d’escalier qui semble présenter quelques affinités avec ceux de Menestreau et de Crain. De même, le massif rectangulaire dégagé à l’est devant cette entrée peut être interprété comme le soubassement de l’autel, Les aménagements internes de la cella de Couan resteront certainement difficiles à restituer, vu l’importance des perturbations causées par la fosse de spoliation centrale et l’arasement complet des niveaux de circulation. Il semble cependant qu’elle se superpose à un aménagement hydraulique, un conduit maçonné cylindrique.

    La nature des constructions annexes reconnues à l’est et au nord du péribole ne saurait être précisée d’amblée. Remarquons simplement que les plus importants se situent logiquement face à l’accès du temple et du péribole. A Alluy comme au sanctuaire de La Chaume, à Bibracte, on peut observer l’existence de ces corps de bâtiments, sans qu’il soit possible de juger, en l’absence de fouille, s’ils revêtent une fonction d’accueil ou plus particulièrement liturgique.

    Datation et motivation de l’enfouissement du trésor de Cobannus

    Il est possible de rattacher 79 « objets » métalliques, trois récipients céramiques et environ 6 932 monnaies au célèbre trésor découvert clandestinement en 1977 sur ce site. D’après les informations retranscrites en 2009 dans la confession du découvreur rédigée devant les agents du Service Régional de l’Archéologie, nous avions une idée assez précise de la localisation et de la nature de la fosse qui avait accueilli tous ces objets.

    Cette cache était à près de 0,8 m de profondeur, en terrain dégagé. Le pilleur a pu mesurer, malgré les conditions désastreuses de son intervention, une fosse d’environ 1,8 m de côté. Prenant conscience de l’importance de sa découverte, il réalisa un croquis de la disposition des pièces dans la fosse (fig. 19 à droite), un schéma de localisation dans le champ et un inventaire assez précis du lot et des monnaies, documents qu’il a transmis aux Service Régional de l’Archéologie avant son décès. La campagne de fouille 2022 a permis de retrouver la fosse qui avait accueilli cette découverte (fig. 8). Sa forme, sa profondeur et sa taille confirment en tous point les éléments contenus dans le « testament » du pilleur. Plus particulièrement, la confrontation de son schéma d’organisation de la découverte avec la fosse elle-même permet de reconstituer l’organisation originelle de l’ensemble (fig. 19).

    Fig. 19 : A gauche, relevé en coupe et plan de la fosse découverte en 2022. Elle a vraisemblablement contenu le dépôt de Cobannus. A droite, superposition du schéma laissé par le découvreur et du relevé de la structure. Les tailles des différents objets représentés correspondent à la réalité.

    Comparé aux autres trésors de sanctuaires connus (par exemple dans le Loiret ceux de Neuvy-en-Sullias ou de Champoulet) le dépôt de Cobannus est particulièrement varié. Il reste tout de même dominé, comme dans la plupart des dépôts, par la statuaire en ronde-bosse et les monnaies. Sa composition témoigne également d’une volonté de la part des commanditaires de sélectionner certains mobiliers tels que des objets précieux (trois objets en or et vingt en argent) ou présentant une certaine qualité esthétique.

    Fig. 20 : Vue du sol d’une des pièces du bâtiment oriental, portant les traces du violent incendie qui a sanctionné l’abandon définitif du sanctuaire, vers 380 de n.-è.

    Cela pose évidemment la question des motivations qui ont conduit à l’enfouissement de toute cette richesse, vraisemblablement rassemblée dans la seconde moitié du IVe siècle. Les fouilles récentes ont d’ailleurs mis en évidences des traces d’incendie dans les états les plus tardifs des sanctuaires voisins (Montmarte, Nitry et Crain), ce qui reflète un contexte particulièrement agité. A Nitry, la statue de culte, encore ornée d’un collier de perles datable du milieu du IVe siècle, est détruite et laissée sur place. Une couche contenant des monnaies de la dynastie valentinienne la surmonte. A Montmarte, au Vault-de-Lugny, le temple et ses ornements font l’objet d’une destruction en règle, qui s’accompagne du morcellement et du rejet des célèbres statues de cultes aujourd’hui conservées au musée de l’Avallonnais. Les séries monétaires se closent, là encore, avant l’époque théodosienne. Le sanctuaire de Crain a lui aussi fait l’objet d’un saccage systématique, avec la destruction de la statue de culte de Minerve. Sa base a été retrouvée dans la cella, alors que son buste a été découvert dans un puits à plusieurs centaines de mètres de là.

    Ce contexte de destruction volontaire des sanctuaires du secteur n’est pas perceptible dans les établissements ruraux voisins. Ce sont donc précisément les lieux de culte païens qui sont visés, dans un contexte politique régional assez calme. Il semble possible de mettre ces évènements en corrélation avec l’action de saint Martin et de ses acolytes, justement dans les années 380 de notre ère. Comme le rapporte sa vita, écrite en 396-397 par Sulpice-Sévère, Martin, encouragé par le contexte politique antipaïen à Rome et par les édits de Valens puis de Théodose Ier, a mené une violente campagne d’éradication de la religion polythéiste dans le territoire de la cité d’Autun. Cette hagiographie presque contemporaine des faits nous rapporte des scènes de destructions systématiques de temples et d’idoles, accompagnées d’humiliation des fidèles. La similitude des observations faites sur les sites de Nitry, Crain, Montmarte et Couan, dans un rayon de quelques kilomètres au nord du territoire éduen, semble fournir un éclairage direct à cet épisode de fanatisme religieux (fig. 21).

    L’étude des niveaux d’abandon du sanctuaire de Couan (état 7c, fig. 20) confirme en grande partie cette impression, puisque l’incendie généralisé du site de produit apparemment peu après 378 d’après les monnaies qui se sont retrouvées piégées sous les toitures effondrées. On note en effet l’absence, étonnante dans le secteur, des abondantes séries monétaires des années 380 / 390, aux noms de Magnus Maximus et de Théodose.

    Fig. 21 : « Saint Martin détruit les idoles ». Gouache sur papier de Luc-Olivier Merson (1846-1920).

    Il est cependant postérieur aux années 355, période à laquelle on entreprend encore des constructions dans le bâtiment septentrional.

    Pourtant, le TPQ monétaire du trésor de Cobannus démontre qu’il a été mis en terre peu après 363 de n.-è. L’absence de frappes de la dynastie valentinienne dans cet ensemble est un indice majeur. Très communes dans la région, elles sont présentes, comme nous venons de le voir, dans les niveaux d’abandon du sanctuaire. Il y a donc un décalage d’une dizaine d’années entre la mise en terre du dépôt et la destruction du site. Les fouilles ont plutôt démontré que l’enfouissement dépôt de Cobannus sanctionnait la fin d’un ultime regain de dynamisme sur le site. Dans les années 350/360, le site connaît une certaine activité constructive, avec le réaménagement du bâtiment septentrional, le curage du fossé et l’installation de la terrasse, peut-être la construction de nouvelles pièces dans le bâtiment oriental (fig. 18). On ne peut oublier que cette date de 363 correspond à la fin du règne de Julien II, dernier empereur païen. Cela clôt une séquence de répit pour l’ancienne religion, après les premières attaques perpétrée sous le règne de Constance II. C’est plutôt ce contexte, l’accumulation de signes menaçants contemporains de la prise de pouvoir de Valens et Valentinien, qui aurait pu conduire les responsables du culte à la dissimulation des biens du temple.

    La découverte et l’étude de la fosse lors de la campagne 2022 démontrent que la fosse qui a recueilli le trésor ne présentait aucun aménagement particulier. Il s’agit d’un creusement en pleine-terre dimensionné à la mesure des objets qui devaient y prendre place. Rien à voir avec un aerium longuement aménagé ou monumentalisé comme l’est le célèbre tronc monétaire du sanctuaire voisin de Crain « Buisson de la Parparée ». Sans parler d’urgence, on distingue ici une démarche teintée d’un certain empirisme. Cette impression est renforcée par sa position topographique dans le complexe cultuel. Il n’a pas été déposé dans un bâtiment particulier, pas plus que dans l’espace consacré du sanctuaire, le temenos, où on pourrait penser qu’étaient conservés les objets les plus précieux appartenant à la divinité. Il semble que ces différents paramètres (faible profondeur, fosse sans aménagement, rejet loin du cœur du complexe dans une zone périphérique, disposition des objets sans soin ou ordre spécifique) dénotent une certaine précipitation, tout du moins une action rapide destinée à soustraire cette richesse à une éventuelle spoliation.

    La position de la fosse, dans la cour 5, n’est cependant pas totalement anodine. Elle prend place au milieu d’autres structures, à mi-distance de deux bases maçonnées qui pouvaient, le cas échéant, servir de repères. Ces divers aménagements (bases de stèles ou d’édicules, mais aussi fosses à dépôts de vases) nous indiquent d’ailleurs que cette cour revêtait probablement un caractère sacré.

    Tous ces indices cumulés nous confirment que le dépôt des objets du culte a été motivé par un climat devenu délétère pour les cultes païens. On peut supposer cependant qu’il s’agissait d’un enfouissement temporaire, dans l’attente du retour à des temps meilleurs. Force est de constater que les individus qui ont procédé à cette dissimulation ont été empêchés de venir les remettre au jour…

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