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    Sondages sur les vestiges du pont médiéval de Taillebourg (Charente-Maritime) / campagne 2012

    Tags : Moyen-âge

    Date : mars 2012
    Responsable : Annie Dumont, Ministère de la Culture (DRASSM) et UMR 6298 ARTeHIS
    Participation de :Catherine Lavier (dendrochronologie – CNRS), Philippe Moyat, Jean-François Mariotti, Jonathan Letuppe (Eveha),Georges Lemaire (DRASSM), André Deconinck (bénévole), Thierry Hoffmann (bénévole)

    1. Problématique

    Les prospections subaquatiques menées depuis 2002 par J.-F. Mariotti ont mis en lumière l’existence d’un important gisement immergé entre les communes de Taillebourg et de Port d’Envaux, qui recèle de nombreux témoins d’une zone portuaire (embarcations, digues, matériel halieutique, outils agricoles, etc.), datés principalement des époques mérovingienne et carolingienne. Les vestiges sont répartis dans une portion de fleuve localisée au pied d’une éminence nommée La Garenne, et les structures conservées sont localisées sur des points de plus forte résistance, appelés hauts-fonds ou seuils. Les investigations subaquatiques ont été concentrées sur ces points qui, chaque année, ont fait l’objet de recherches et du relevé exhaustif des vestiges découverts (Dumont, Mariotti dir., à paraître).

    En 2007, une brève investigation sur le seuil n° 6, où se trouvait le pont médiéval, avait permis de faire un premier relevé et de dater par 14C des échantillons prélevés sur sept pieux de fondation repérés en 2006 par A. Deconinck (Dumont, Mariotti 2009). Les analyses radiocarbone permettent de rattacher ces vestiges à un intervalle allant de la fin du IXe s. au tout début du XIe s. Un seul bois, un peu plus récent, se rattache à l’intervalle début XIe – milieu du XIIe s. Les résultats obtenus conduisent à penser que ce pont, ou du moins un état de pont, a pu être construit soit au Xe s., soit juste après l’an mille. Les objets découverts anciennement à ses abords comportent des éléments des IXe et Xe s. (épées), venant confirmer l’intérêt stratégique de ce lieu, ainsi que l’existence d’un franchissement du fleuve, au moins dès cette époque.
    Le pont de Taillebourg a été édifié au pied d’une hauteur sur laquelle fût construit un château, attesté dans les textes à partir de 1007 ; celui-ci dominait la Charente et permettait le contrôle des marchandises transportées sur le fleuve (Debord 1980 et 1984, p. 53). Un prieuré de l’abbaye de Saint-Savin-sur-Gartempe se trouvait également sur cet éperon ; la plus ancienne mention de cet établissement date des environs de 1100 (cartulaire de Saint-Cyprien-de-Poitiers) mais on en ignore la date de fondation. Il était protégé par une enceinte enserrant une douzaine d’hectares (Blomme 1988). Situé en aval de Saintes, importante agglomération antique devenue siège épiscopale, Taillebourg contrôlait le premier pont permettant de franchir la Charente lorsque l’on venait de la côte atlantique. Ce pont était accessible même lorsque la plaine était inondée car il était prolongé, rive gauche (commune de Port d’Envaux), par une chaussée surélevée appelée Chaussée Saint-James, encore visible dans le paysage actuel. Il est connu pour avoir été le siège de la bataille du 22 juillet 1242, qui vit la victoire de Louis IX sur Henry III d’Angleterre. Le vieux pont de Taillebourg est ruiné en 1652, et il faut attendre 1891, soit plus de deux siècles, pour qu’un nouvel ouvrage soit reconstruit.
    On ignore à ce jour les dates exactes de fondation de cette chaussée et du pont. Il apparaissait donc important de chercher à resserrer la fourchette chronologique obtenue grâce aux datations 14C en prélevant de nouveaux échantillons, afin de tenter une analyse dendrochronologique, ce qui constituait le principal objectif de la campagne de sondages menée en mars 2012.

    2. Rive droite : datation dendrochronologique des pieux de fondation

    Près de la rive droite, six pieux en chêne ont pu être suffisamment dégagés afin d’être tronçonnés in situ. Ce travail a été rendu difficile par la présence de nombreux amas de pierres et de blocs, témoins des destructions successives dont le pont a été l’objet au cours du XIXe s. Deux bois possèdent leur dernier cerne sous écorce, et un autre un aubier presque complet, mais difficile à lire tant les cernes sont minces et abimés. L’analyse dendrochronologique, effectuée par C. Lavier, montre que cinq bois ont pu être mis en œuvre, après la coupe (entre la fin d’année 997 et l’hiver/printemps suivants), au cours de l’année 998. Le sixième a été employé plus tardivement, son dernier cerne sur aubier incomplet se placerait en 1110.
    Ces résultats sont cohérents avec les analyses radiocarbones effectuées il y a cinq ans. Les pieux ont été repris en topographie et replacés à nouveau sur les plans anciens (fig. 1). On voit nettement qu’ils sont liés aux piles 5 et 6 qui ont supporté le ou les moulins. Il reste difficile d’en comprendre l’organisation, car les tas de pierres et de blocs présents au fond, suite aux démolitions successives, masquent probablement un certain nombre d’éléments. Néanmoins, les résultats des datations radicarbone et dendrochronologiques permettent d’identifier deux phases de construction et/ou de réparation, la première à la toute fin du Xe s., la seconde au début du XIIe s. Le petit nombre de bois étudiés ne permet guère d’aller plus loin dans l’analyse.

    Rive gauche : découverte de deux piles en pierre

    Près de la rive gauche, les prospections ont permis de découvrir deux bases de piles qui n’avaient encore jamais été vues. Ces massifs correspondent aux piles 1 et 2 des plans de Cl. Masse et des ingénieurs des Ponts et Chaussées. Ces plans, levés respectivement au XVIIIe et au XIXe s., permettent de restituer en partie l’ouvrage, d’en connaître le nombre de piles et de les localiser par rapport à la configuration actuelle du fleuve (fig. 2).

    Le massif de la pile n° 2

    Dans son état actuel, ce massif forme un rectangle dont le plus grand côté, disposé perpendiculairement au chenal, mesure 4 m, et le petit côté, parallèle au chenal, 3.85 m. Il apparaît évident qu’une partie a été très perturbée par les dragages car de nombreux blocs d’architecture, dont certains de grandes dimensions, se trouvent pêle-mêle dans le chenal, aux abords immédiat de cet ensemble. L’avant-bec et l’arrière-bec, qui étaient de forme triangulaire d’après les deux plans d’archive connus, ont été cassés. Ainsi, ce massif était plus long à l’origine.
    Il est constitué de deux grandes pierres taillées en auge, munies d’un rebord haut d’une vingtaine de centimètres. Ces pierres mesurent un peu plus d’1 m de large pour une longueur d’1,90 m environ. Celle qui se trouve en aval, côté rive gauche est cassée. Les rebords présentent également des fractures, traces de l’arasement de ces massifs. Entre ces grandes pierres, des blocs taillés de plus petites dimensions sont assemblés jointivement. Le relevé de ce massif reste pour le moment incomplet. Un retour sur le terrain est prévu en 2013 pour le terminer.
    Une restitution 3D, réalisée à l’aide du logiciel Sketchup, permet de bien visualiser le mode de construction et le caractère monumental de cette base de pile. La construction est originale, et pour le moment, il n’a pas été trouvé de comparaison directe. Cependant, on doit noter que les fouilles de massifs de piles de ponts, quelle que soit la période concernée, restent rares. Le dispositif des grandes pierres taillées en auge pourrait correspondre à une sorte de système autobloquant : les pierres assemblées ou maçonnerie posées dessus, qui formaient l’élévation de la pile, étaient maintenues, à la base, à l’intérieur d’un cadre de pierre. Une recherche dans les traités d’architecture et de construction de ponts est en cours pour tenter de trouver une construction similaire.

    Le massif de la pile n° 1

    De ce massif, on ne voit que deux grandes pierres rectangulaires, taillées en auge et munie d’un rebord. En aval immédiat se trouvent de nombreux blocs d’architecture qui ne sont plus en place et au milieu desquels deux objets étaient visibles : une hache, vraisemblablement d’époque contemporaine et une corne d’appel en céramique, comparable à un autre exemplaire découvert non loin, dans l’un des couloirs de prospection.
    Il est probable que le reste de cette base de pile soit conservée sous le remblai qui la recouvre, côté rive gauche. Cette pile était la première implantée dans le chenal et était reliée à la culée du pont surmontée d’une tour. La présence des deux cornes d’appel dans ce secteur pourrait être mise en relation avec la garde du pont.
    Les dimensions des deux grandes pierres sont très proches de celles qui forment les côtés de la pile 2, et on peut en déduire, sans trop prendre de risque malgré le caractère inachevé de cette étude, que ces piles sont de même factures et sont contemporaines. Néanmoins, il est pour le moment impossible de les dater dans l’absolu, aucun bois de fondation n’étant visible dans ce secteur recouvert de nombreuses pierres. Trois petits sondages d’ampleur très limitée ont été tentés le long de la pierre amont de la pile 1, mais ils n’ont pas permis de voir si des bois pouvaient se trouver contre ou sous cette pierre. Il faudrait en faire d’autres, plus étendus, afin de vérifier s’il existe sous ces bases de piles un grillage de poutres horizontales, comme cela a été mis en place à Saintes, et a été observé par les personnes chargées de détruire le pont de Taillebourg au XIXe s. (Archives départementales de Charente-Maritime).
    Les dater permettrait de savoir si l’on se trouve en présence d’une phase contemporaine ou non de celles qui ont été mises en évidence par les analyses radiocarbone et dendrochronologiques effectuées sur les pieux de fondations conservés près de la rive opposée, à savoir, à la fin du Xe s. et au début du XIIe s. Il est possible que les piles 1 et 2, espacées de 7 m, aient été construites lors d’une autre étape de construction et/ou de réfection, les ponts qui ont perduré pendant sept siècles (durée minimale de d’utilisation du pont de Taillebourg), ayant été l’objet de nombreuses réparations ou reconstructions partielles (Mesqui 1986).

    Bibliographie

    BLOMME Y., 1988. Les enceintes urbaines et villageoises de Saintonge et d’Aunis. Etude topographique. Bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest et des musées de Poitiers, vol. 2 (1988), p. 3-32.

    DEBORD A., 1980. Les bourgs castraux dans l’ouest de la France. Châteaux et peuplements en Europe occidentale du Xe au XVIIIe siècle. Ier colloque international de Flaran, Auch, 1980, p. 57-73.

    DEBORD A., 1984. La société laïque dans les pays de la Charente, Xe-XIIe siècles. Paris : Picard.

    DUMONT A. MARIOTTI J.-F. (dir.). Archéologie et histoire du fleuve Charente. Taillebourg – Port d’Envaux : une zone portuaire du haut Moyen Âge sur le fleuve Charente. Editions universitaires de Dijon, collection Art, Archéologie et Patrimoine, Dijon, sous presse.

    DUMONT A., MARIOTTI J.-F., 2009. Die mittelalterliche Charentebrücke von Taillebourg. Actes du colloque international Archäologie des Brucken/ Achaeology of bridges, Regensburg/Ratisbonne, 5-8 nov. 2009.

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